Mad in Finland / "Lestroiscoups.com"
Paru le jeudi 16 juillet 2015
Un bel article sur la performance des filles de Mad In Finland à Alba la Romaine en juillet.
Pour la cinquième année, l’équipe de La Cascade, pôle national des arts du cirque, investit le site et le village d’Alba-la-Romaine. Trois éditoriaux, dits éditos partenaires, ouvrent la plaquette programme sous la signature des soutiens institutionnels du festival et leurs titres ne mentent pas : art vivant et populaire, rond de paradis, rendez-vous avec le rêve. Il faut dire que Alain Reynaud et Claire Peysson, directeurs artistiques, ne mentent pas non plus avec l’excellente programmation qu’ils proposent, au sein de laquelle une magnifique pépite finlandaise « Mad in Finland », création in situ, qui devrait connaître une belle tournée. Programmateurs, dépêchez-vous de remplir vos calendriers.
Amateurs de cirque, soyez rassurés. Au plus haut niveau artistique Mad in Finland contient tous les éléments nécessaires : trapèze, trapèze ballant, tissu, fil, main à main, rola-bola, chants, guitares électriques, violons, bruitages et mélodica. Mais il y a plus, beaucoup plus que les performances acrobatiques et musicales. Du sens, beaucoup de sens et d’intelligence pour vous interpréter un spectacle plein d’humour, d’amour et d’énergie, débordant d’esprit satirique.
En piste, sept femmes qui rivalisent de beauté simple et de sensualité douce. Elles ont en commun d’avoir quitté leur Finlande natale depuis quelques années, et se sont réunies pour nous raconter leur pays tel qu’elles le voient, le rêvent, l’aiment ou l’abominent, avec distance ironique et affection malicieuse. Qu’elles soient sept n’est pas le fruit du hasard. En Finlandaises cultivées, elles connaissent l’idole nationale de la littérature de leur pays : Alexis Kivi, auteur d’un célèbre roman de mœurs et d’aventures les Sept Frères, œuvre du xixe siècle qui fit scandale aux yeux des bourgeois et des académiciens. La référence à Alexis Kivi est d’importance. C’est celle d’un homme pauvre, mort fou à 36 ans en disant : « Je vis ! ». Et c’est bien un hymne à la vie que nous proposent les sept insolentes créatures de Mad in Finland.
Cible principale de leur spectacle : les clichés mondialement répandus sur la Finlande que contiennent encore parfois les guides touristiques. De ces clichés qui rappellent les débats obtus que la France a connus récemment sur sa quête d’identité nationale, les sept mousquetaires finoises dressent pour leur propre pays un tableau cinglant, jamais insultant, mais toujours libertaire et poétique.
Fine folie finnoise
Par respect pour leur travail, et pour ne pas éventer toutes les surprises qui attendent les spectateurs, livrons quelques mises en bouche impressionnistes. Mad in Finland, au-delà du travail impeccable en art du cirque, présente un florilège cocasse et survitaminé de situations dramatiques qui explorent le jeu de clown comme la comédie de mœurs, la parodie champêtre comme le mélodrame existentiel, la performance athlétique comme l’abandon sensuel, le pastiche acide comme la vérité tendre. Et puis il y a aussi le rôle joué par la musique et le chant : voix a capella pour d’émouvantes berceuses, ensembles d’instruments à cordes ou guitares électriques ou batteries déchaînées pour accompagner des airs de balloches ou des déferlements heavy metal. Et encore, ce n’est pas la moindre réussite du spectacle, une scénographie éclatée entre agrès, petite piste, praticables d’orchestre, baraque de foire, caravane transformée en sauna et troncs d’arbres disséminés sur l’aire de jeu. Tout cela est pauvre d’apparence mais juste, car les sept filles se souviennent encore d’Alexis Kivi, capable jusqu’à sa fin tragique de surmonter sa pauvreté pour faire naître une œuvre sans concession.
Dernière remarque, les sept interprètes, auxquelles se joignent trois musiciens et une chanteuse, manifestent tout au long de la représentation une attitude rare : le plaisir de jouer ensemble, l’unité d’un groupe où aucun talent individuel n’est minoré, la force collective d’un regard critique sur la société.
À vous spectateurs maintenant d’être attentifs aux programmations à venir et de vous préparer à catapulter vos téléphones portables, à danser le tango, à hurler comme des supporters, à frissonner du mal de vivre ou du désamour, à pleurer de rire en déchaussant vos skis, à vous réconforter l’âme avec un verre de vodka.
Michel Dieuaide, Les Trois Coups.